L’international est aujourd’hui un objectif stratégique pour de nombreuses entreprises en quête de croissance. Mais se déployer à l’étranger ne s’improvise pas : le choix de la structure juridique doit être soigneusement étudié. Et avec toute implantation hors des frontières, surgit inévitablement la question de l’établissement stable – une notion aux conséquences fiscales parfois lourdes.
Afin d’anticiper les risques en découlant, il est nécessaire de se poser les bonnes questions :
- L’activité que j’exerce à l’étranger est-elle de nature à créer un établissement stable ?
- Puis-je embaucher un salarié sans risquer de créer un établissement stable ?
- Je dispose d’un établissement stable en France, quelles sont mes obligations juridiques et fiscales ?
L’établissement stable n’est pas une fatalité ; la création d’une filiale peut lui être préférée, ce qui entraînera d’autres obligations juridiques et fiscales. Cet article vous guidera à travers les avantages et les inconvénients de chaque option, en mettant en lumière leurs implications juridiques et fiscales.
Établissement stable : de quoi parle-t-on ?
En droit interne, trois situations permettent d’établir qu’une société dispose d’un établissement stable dans un pays tiers :
- L’existence d’un établissement autonome
- La présence d’un agent dépendant
- La réalisation d’un cycle économique complet
L'établissement stable sera caractérisé s'il existe une installation fixe d'affaires. Si tel n'est pas le cas, il convient de prêter attention à la dépendance des agents employés en France. Par agent il convient d'entendre tout salarié.
Installation fixe d’affaires : critères
L'établissement stable suppose l'existence de locaux, d'un emplacement ou encore de matériel à la disposition de la société dans un État autre que celui où elle a son siège social.
Cette installation doit être fixe, c’est-à-dire établie à un endroit précis avec un certain degré de permanence et non purement temporaire. La crise du Covid-19 a mis en lumière la question du risque d’établissement stable porté par les salariés travaillant depuis leur domicile. L’OCDE a établi que, dès lors que le télétravail constitue un moyen d'organiser le travail de l'employé et qu'il est exigé par l'employeur, le risque d’établissement stable existe et doit être étudié.
L'installation fixe doit exercer sa propre activité.
Agent dépendant : critères
La notion d’agent dépendant est totalement distincte de celle de l’installation fixe d’affaires.
L'agent dépendant peut être défini comme une personne qui n'a pas de personnalité professionnelle distincte et qui est en mesure d'engager l'entité. L’OCDE a établi trois critères indiquant qu’un agent doit être reconnu dépendant :
- La personne agit dans un État contractant de la convention pour le compte d'une entreprise
- Cette personne conclut habituellement des contrats ou joue habituellement le rôle principal dans la conclusion de contrats qui sont régulièrement conclus sans modification substantielle par l'entreprise.
- Ces contrats sont soit conclus au nom de l’entreprise, soit visent le transfert de propriété ou l’octroi d’un droit d’usage sur des biens que l’entreprise possède ou utilise, soit encore concernent la fourniture de services par l’entreprise
La notion d’« agent dépendant » s’oppose à celle d’« agent indépendant », qui agit en son propre nom, sans lien de subordination juridique, économique ou fonctionnelle à l’égard de l’entité pour laquelle il intervient. En résumé, l'agent, pour être indépendant, doit agir en son nom propre et exercer son activité habituelle.
Filiale - établissement stable : éléments de comparaison
Compte tenu des obligations découlant de l'identification d'un établissement stable, la question de créer une filiale dans le pays d'installation doit se poser. L'établissement stable et la filiale doivent être comparés au regard des obligations juridiques et fiscales qui les concerne. Cela étant, le choix de la structure dépend d'abord et avant tout des projets de développement opérationnels que vous envisagez.
Les principales différences
Filiale | Établissement stable | |
Personnalité fiscale |
La filiale a sa propre personnalité juridique et ses propres actifs. C'est une entité distincte de la société mère. |
Même si l'établissement stable n'a pas de personnalité juridique propre, il est considéré comme une société distincte du siège social. L'établissement stable a donc sa propre personnalité fiscale. |
Résidence fiscale |
La filiale est considérée comme un "résident" de l'État où elle est située. Elle peut donc bénéficier des avantages des conventions fiscales internationales. |
Comme l'établissement stable n'a pas de personnalité juridique distincte de celle du siège social, il ne peut être considéré comme un "résident" de l'État où il est situé. Il est donc probable que l'établissement stable ne bénéficie pas des avantages fiscaux des conventions de double imposition (sauf si ces conventions contiennent une clause de non-discrimination les concernant). |
Exigences comptables |
La filiale a sa propre comptabilité et ses résultats seront déterminés selon les règles applicables dans la juridiction où elle est située. La société mère n'est pas tenue d'utiliser des méthodes de ventilation pour déterminer et répartir son revenu imposable dans sa propre juridiction et dans celle de sa filiale française, puisqu'il s'agit de deux entités distinctes. La société mère ne détiendra que des titres de participation de la filiale inscrits à l'actif de son bilan. |
En pratique, l'établissement stable doit tenir sa propre comptabilité, notamment pour des raisons d'organisation interne, car seule une comptabilité précise permet de déterminer la rentabilité d'un établissement. Lorsqu'une société étrangère exerce des activités par l'intermédiaire d'un établissement stable en France, ce dernier doit présenter une comptabilité, un bilan et un compte de résultat. |
Le retour des bénéfices à la société mère |
Les bénéfices d'une filiale donnent lieu au versement de "dividendes". Les dividendes perçus sont entièrement imposables dans le revenu imposable de la société au taux normal de l'impôt sur les sociétés. |
Les bénéfices d'un établissement stable ne donnent pas lieu au versement de "dividendes", car ils constituent juridiquement les résultats du siège social. L'établissement stable ne peut pas décider de "distribuer" ses résultats. Toutefois, sous réserve de la législation du pays d'établissement, un "impôt sur les succursales" peut s'appliquer. |
Relation contractuelle |
Une filiale juridiquement indépendante peut signer des contrats avec sa société mère. |
L'établissement stable n'ayant pas de personnalité juridique propre, il ne peut pas signer de contrats avec la société mère. Pour minimiser le risque fiscal, il est donc recommandé de mettre en place des quasi-contrats. |
Le point commun : l’application des prix de transfert
En règle générale, les bénéfices générés par une entreprise sont imposables à l'endroit où elle opère. Par conséquent, lorsqu'une entreprise opère dans un pays étranger par l'intermédiaire d'un établissement stable, les bénéfices attribuables à cet établissement sont imposables dans le pays d'accueil.
Il convient de noter que les bénéfices générés par une entreprise liée doivent correspondre à ceux générés par une entreprise indépendante comparable opérant dans des circonstances similaires (principe de pleine concurrence). Le principe de pleine concurrence peut être défini comme la norme internationale que les pays membres de l'OCDE ont convenu d'utiliser pour déterminer les prix de transfert à des fins fiscales. Il est énoncé comme suit à l'article 9 du modèle de convention fiscale de l'OCDE : lorsque « les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été réalisés par l'une des entreprises mais n'ont pu l'être en raison de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence ».
En vertu des règles françaises, l'administration fiscale française a le droit de contester la déduction des avantages accordés aux sociétés étrangères du groupe en vertu de l'article 57 du CGI, qui prévoit, dans certaines circonstances, un transfert présumé de bénéfices. Les dispositions de cet article sont applicables à toute société imposable en France, y compris à l'établissement stable français d'une société étrangère. La circonstance que l'établissement stable n'ait pas de personnalité propre n'est pas un obstacle (CE, 9 novembre 2015, n° 370974).
Selon l'approche autorisée par l'OCDE, un établissement stable est traité comme une « entité fonctionnellement distincte » aux fins de l'attribution des bénéfices d'entreprise. Par conséquent, les bénéfices de l'entreprise sont déterminés, non pas sur la base d'une répartition ou d'une allocation, mais plutôt sur la base de la norme de pleine concurrence (c'est-à-dire les prix de transfert).
L'outil de sécurité juridique : le rescrit
Il n'est pas toujours évident de discerner une situation pouvant entraîner la reconnaissance d'un établissement stable. Pour pallier ce risque juridique et fiscal, l'administration fiscale française propose aux contribuables résidant à l'étranger de déposer un rescrit afin de s'assurer qu'ils ne disposent pas d'un établissement stable en France.
Attention, soumettre un rescrit à l’administration fiscale met par hypothèse en lumière la situation qui lui est exposée. Il sera alors malaisé de ne pas suivre l’avis rendu sans se prêter au risque de redressement fiscal. En d’autres termes, ne pas suivre l’avis rendu ouvre une potentielle discussion avec l’administration qui pourra retenir des majorations plus importantes.
Ce type de rescrit ne peut pas être déposé sous forme dématérialisée dès lors qu'il est ouvert aux non-résidents.
Il existe un rescrit fiscal spécifique permettant à une entité étrangère de solliciter l’administration fiscale française afin qu’elle lui confirme qu’elle ne dispose pas d’un établissement stable en France (article L.80-6° du livre des procédures fiscales français). En revanche, si une entité étrangère souhaite savoir s'il existe un établissement stable en France, c'est le rescrit général de l'article L.80-1° du code des procédures fiscales qui s'applique.
Les conditions suivantes doivent être respectées pour pouvoir déposer un rescrit « établissement stable » :
- Le contribuable doit être résident d'un pays ayant signé avec la France une convention fiscale ;
- Le contribuable doit présenter une demande écrite par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au directeur général de l’administration fiscale française. Il n'est pas nécessaire que la demande soit déposée avant l'opération ;
- Le contribuable doit fournir à l’administration fiscale française une description détaillée et complète de la situation et donner toutes les informations nécessaires pour permettre à l’administration fiscale française de prendre position ;
- Le contribuable doit agir de bonne foi..
La décision est déposée par écrit en incluant la situation détaillée et complète en France et ne lie l’administration fiscale française que sur la base des éléments fournis. Lorsque la situation change en France et que les éléments de faits sont différents, l'entité étrangère n'est plus protégée par la décision de l’administration fiscale française.
L’administration fiscale française dispose de trois mois pour prendre une décision. Si, au bout de trois mois, aucune décision n'a été prise, il y a alors accord tacite. Si la décision est négative, l'entité étrangère peut suivre ou non la décision de l’administration fiscale française.
Si la demande ne contient pas toutes les informations requises pour permettre à l’administration fiscale française de prendre position, cette dernière peut demander des informations supplémentaires. Cette demande complémentaire doit être adressée dans les meilleurs délais au contribuable, par lettre recommandée avec accusé de réception. Le contribuable doit répondre dans les mêmes conditions que la demande initiale. Aucun délai n'est fixé pour la fourniture d'informations supplémentaires. Le délai de trois mois pour donner son avis ne s'applique pas tant que toutes les informations demandées n'ont pas été fournies.
Corinne Lecocq
Avocat
corinne.lecocq@oratio-avocats.com