Après un long feuilleton politique et juridique marqué par une motion de censure adoptée sur le 1er projet de loi présenté, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 a finalement été définitivement adoptée en février dernier. Mais alors, quelles sont les mesures sociales marquantes de cette loi ? Tour d’horizon avec Me Anne PINEAU, intervenant spécifiquement en la matière au sein du cabinet Oratio Avocats.
Parmi les mesures définitivement adoptées, pourriez-vous nous en dire plus sur celles qui impacteront le plus les entreprises, notamment s’agissant de la gestion des salariés ?
Anne Pineau : Parmi toutes les mesures mises en place, il me semble que 2 doivent retenir notre attention s’agissant de la paye et de la gestion quotidienne des ressources humaines.
D’abord, je pense au nouveau statut social et fiscal de la rémunération de l’apprenti : jusqu’au 1er mars 2025, ces contrats d’apprentissage jouissaient en effet d’une exonération totale de CSG et de CRDS et d’une exonération partielle de cotisations sociales jusqu’à 79 % du SMIC. Mais, dans le but de réduire les effets d’aubaines et les coûts liés à l’apprentissage, il est désormais prévu que tous les contrats conclus à partir du 1er mars 2025 donnent lieu au paiement de la CSG et de la CRDS sur la rémunération versée à l’apprenti pour sa part excédant 50 % de la valeur du SMIC.
Il en va de même pour le plafond des exonérations de cotisations sociales qui est désormais abaissé à 50 % de la valeur du SMIC. Se faisant, le régime social et fiscal de la rémunération versée à l’apprenti est moins intéressant et conduit à abaisser le niveau du revenu net finalement perçu par l’apprenti.
Nous pourrions aussi parler de la réforme des allègements généraux de cotisations patronales. En effet, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 a prévu une refonte totale de ces allègements de cotisations patronales en 2 temps. Tout d’abord, en 2025, les dispositifs d’allègements de cotisations (notamment sur les volets maladie, familles et la réduction générale de cotisations patronale) seront simplifiés. Puis, en 2026, cette même loi prévoit une fusion de ces allégements en une seule version de la réduction générale de cotisations patronales complètement reconfigurée.
Évidemment, la loi de financement est, comme chaque année, extrêmement dense et prévoit bien d’autres mesures : on pense aussi, par exemple, à la hausse de la contribution patronale spécifique sur l’attribution gratuite d’actions ou encore à la prise en compte du déficit fonctionnel permanent dans l’indemnisation des arrêts de travail professionnels suite au revirement de la Cour de cassation sur le sujet. Toutefois, un décret est attendu qui viendra détailler les modalités d’application de ce dispositif, en tout état de cause, l’application de ce dispositif est prévue, au plus tard, pour le mois de juin 2026.
Dans le cadre de la réduction générale de cotisations patronales dont vous parliez-à l’instant, est-il vrai que, dès 2025 elles devront tenir compte des primes de partage de la valeur, jusqu’alors exclues ?
Anne Pineau : Tout à fait ! depuis le 1er janvier 2025, les primes de partage de la valeur (PPV) versées dans l’entreprise devront toutes être intégrées à la rémunération utilisée pour calculer la réduction générale de cotisations patronales, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. La PPV doit être prise en compte au dénominateur de la formule de calcul concernant la rémunération annuelle. À ce titre, l’administration sociale a d’ailleurs déjà eu l’occasion de préciser que les PPV à intégrer à la réduction générale de cotisations concernent, non seulement celles qui sont versées aux salariés, mais également celles qui seraient affectées à un plan d’épargne. Toutefois, cette prise en compte des PPV au niveau de la rémunération prise en compte pour déterminer l’éligibilité à la réduction générale de cotisations ne s’applique pas aux salariés dont le contrat de travail aurait pris fin avant le 1er mars 2025.
Cette intégration de la PPV est globalement défavorable pour les employeurs en ce qu’elle peut faire passer la rémunération du salarié au-dessus du seuil d’éligibilité à cette réduction générale de cotisations patronales. En effet, pour mémoire, cette réduction générale ne s’applique qu’aux rémunérations inférieures à 1,6 fois le SMIC jusqu’au 31 décembre 2025.
Il s’agit là d’un préambule à la réforme plus en profondeur des allègements sociaux et donne le ton des réformes à venir.
Enfin, il faut noter que la loi de financement a abaissé certains seuils pour d’autres mécanismes de réduction de taux sur les volets maladie et famille. Ainsi, la réduction de taux sur la cotisation patronale maladie demeure, mais pour les salariés dont la rémunération n’excède pas 2,25 SMIC (contre 2,5 SMIC jusqu’à présent). Il en est de même pour la réduction de taux sur la cotisation patronale d’allocations familiales pour les salariés dont la rémunération n’excède pas 3,3 SMIC (au lieu de 3,5 SMIC jusqu’à présent).
Certaines mesures prévues initialement par le projet de loi de financement ont-elles finalement été abandonnées en cours de route ?
Anne Pineau : Oui, il est de tradition française que les députés saisissent le Conseil constitutionnel.
Parmi les mesures phares censurées par le Conseil constitutionnel, on peut citer la « Taxe Lapin » qui a fait l’objet d’une censure par les Sages en dépit de son plébiscite par les professions médicales et paramédicales.
Cette mesure avait pour but de responsabiliser les patients dans la prise de rendez-vous médicaux en autorisant les professionnels de santé à exiger le paiement d’une pénalité, sous forme forfaitaire, lorsque le patient ne se présente pas à une consultation ou qu’il annule celle-ci sans délai raisonnable et sans motif impérieux.
Pour le Conseil constitutionnel, il ne remet pas en cause le principe mais a considéré que ce dispositif n’était pas suffisamment encadré et puisqu’il contrevenait au principe d’accès aux soins pour les patients qui ne disposaient pas de moyens de paiement dématérialisé.
Citons aussi la sécurisation de la carte vitale : la loi de financement prévoyait certaines conditions de sécurisation, de délivrance et d’utilisation par les professionnels de santé de la carte vitale électronique. Ici encore, bien qu’elle visait à anticiper certaines fraudes sociales, cette disposition a finalement été censurée, car considérée comme ayant un effet trop indirect sur les dépenses ou les recettes de la Sécurité sociale et donc qu’elle ne trouvait pas sa place dans la loi de financement…
Pour autant, ces principes ne sont pas abandonnés, il est fort probable que le projet de Loi pour 2026 reprenne ces principes.
Vous parliez à l’instant de la sécurisation de la carte Vitale électronique finalement censurée par le Conseil constitutionnel, pourriez-vous nous en dire plus sur les mesures visant à lutter contre la fraude sociale dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 ?
Anne Pineau : Chaque année, les lois de finances sont l’occasion de poser de nouveaux jalons dans la lutte sociale et fiscale. 2025 n’a pas fait exception : cette année, la physionomie de la loi de financement nous permet de centraliser toutes les dispositions de lutte contre la fraude sociale dans un seul et même article.
On pense par exemple à l’extension du droit de communication à la lutte contre la fraude sociale, hors contrôle comptable et lutte contre le travail dissimulé, permettant ainsi aux agents chargés du contrôle de s’échanger mes informations et les documents sans que ne puisse leur être opposé le secret professionnel.
Dans le même esprit, la loi de financement prévoit aussi le renforcement du mécanisme de mutualisation des contrôles entre les branches qui devrait prochainement entrer en vigueur et qui permettrait à toutes les constatations et tous les contrôles dressés par des agents de contrôles d’être opposables dans des éventuels contrôles diligentés par un autre organisme.
Notez que, pour l’heure, nous sommes encore en attente de textes qui devront préciser les modalités concrètes de mise en œuvre de ces nouveaux mécanismes…
Au-delà de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025, n’y aurait-il pas des mesures sociales impactant les entreprises dans la loi de finances pour 2025 ?
Anne Pineau : Si ! La loi de finances pour 2025 contient elle aussi des mesures sociales marquantes pour certains secteurs d’activité. Nous pouvons par exemple citer le secteur des hôtels, cafés et restaurants pour lequel c’est la loi de finances qui a prolongé l’exonération sociale et fiscale des pourboires remis aux salariés en contact avec la clientèle jusqu’au 31 décembre 2025.
Intéressant tous les secteurs d’activité, nous pouvons également évoquer la prise en charge des frais de transport qui bénéficie d’un régime social de faveur sur la fraction de la prise en charge employeur allant au-delà des 50 % du coût total de l’abonnement. Ainsi, c’est la loi de finances qui prévoit une exonération sociale de la prise en charge des frais de transport publics par l’employeur jusqu’à 75 % du coût total de l’abonnement. Toutefois, la réforme du calcul de l’avantage en nature véhicule aura un impact sur ce le sujet.
Enfin, je souhaitais aussi faire un focus sur la baisse des indemnités journalières de sécurité sociale (IJSS). Depuis le 1er avril dernier (suite au Décret du 20 février 2025), prévoit que le salaire de référence pris en compte pour le calcul des IJSS maladie sera plafonné à 1,4 SMIC pour les arrêts de travail débutant à compter du 1er avril 2025, contre 1,8 SMIC actuellement. Ainsi, mécaniquement, les IJSS maladie vont diminuer pour les salariés ayant un salaire supérieur à 1,4 SMIC.
Ainsi, le salaire de référence sera pris en compte dans la limite de 2 522,52 € [(11,88 € x 35 x 52 /12) x 1,4], au lieu de 3 243,24 €. Le montant maximum brut d'une indemnité journalière passera ainsi de 53,31 € à 41,47 €.
Les conséquences sont importantes :
- pour le salarié qui ne remplit pas les conditions pour bénéficier des IJSS ;
- l’employeur qui doit maintenir le salaire, celui-ci augmentera donc de fait.
Sources :
- Loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 (1)
- Loi n° 2025-199 du 28 février 2025 de financement de la Sécurité sociale pour 2025 (1)
- Décision du Conseil constitutionneln° 2025-875 DC du 28 février 2025
- Actualité BOSS du 12 mars 2025 ; BOSS, Épargne salariale, § 170 (prise en compte de la PPV dans la réduction générale des cotisations patronales)
Anne Pineau
Avocat
anne.pineau@oratio-avocats.com