Les cas de licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle se multiplient ces dernières années.
Les conséquences financières peuvent s’avérer lourdes pour l’employeur puisqu’en pareille situation, le salarié bénéficie des règles protectrices et peut prétendre, au titre de la rupture de son contrat de travail :
- À une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l’indemnité légale de licenciement)[1] ;
- Outre une indemnité compensatrice égale à l’indemnité légale de préavis.
Ces sommes lui sont dues s’il remplit les trois conditions cumulatives suivantes :
- Le salarié doit avoir été victime d'un AT ou d'une MP
- L’AT ou la MP doit avoir un lien au moins partiel avec l'inaptitude ;
- L'employeur doit avoir connaissance de ce lien à la date du licenciement.
Les possibilités de contester cette procédure étaient quasiment vouées à l’échec (Cf. : la contestation de l’avis du médecin du travail n’a qu’un intérêt très limité pour les employeurs puisqu’il s’agit de statuer sur un seul avis. Or, ce même médecin du travail pourra rédiger un nouvel avis sans aucune difficulté).
Également, la jurisprudence en la matière posait une présomption quasi-irréfragable d’origine professionnelle à raison du seul dépôt de la demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle auprès de la CPAM et de l’avis du médecin du travail.
De ce fait, les employeurs ne disposaient d’aucune action réelle pour venir contester l’origine professionnelle d’une inaptitude nonobstant certaines situations manifestement abusives.
La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 septembre 2025 (n°23-19.841), vient d’apporter un éclairage nouveau sur cette situation.
Cet arrêt n’est pas, à proprement parler, un revirement car la Cour a, depuis quelques années déjà, engagé une évolution sur cette problématique.
- Cour de cassation, Chambre sociale, 8 septembre 2021, 20-14.235
- Cour de cassation, Chambre sociale, 20 novembre 2024, 23-12.474
- Cour de cassation, Chambre sociale, 18 septembre 2024, 22-20.471
Cependant, cet arrêt permet de considérer que l’avis du médecin du travail, le certificat médical du médecin traitant et le dépôt d’une demande de reconnaissance au titre des risques professionnels, constituent uniquement des indices.
Dorénavant, le salarié doit rapporter la preuve que la pathologie (ou l’accident du travail) est directement liée à son activité professionnelle.
Enfin, la Chambre sociale confirme à nouveau le principe de l’indépendance du droit du travail et du droit de la sécurité sociale vis-à-vis de l’employeur.
En effet, la Cour de cassation a déjà jugé qu’un refus de prise en charge de la CPAM n’interdisait pas au salarié de saisir une juridiction prud’homale afin de solliciter l’origine professionnelle de son inaptitude ou la violation d’une obligation de sécurité.
Dorénavant, la possibilité de remettre en cause le lien entre l’inaptitude et la maladie est donc ouverte aux employeurs puisque la décision de prise en charge de la CPAM ne suffit plus à prouver le lien professionnel.
Cette jurisprudence permet de rétablir une certaine équité dans les rapports salarié/employeur.
Toutefois, les circonstances de cette affaire sont particulières :
- Un salarié, en arrêt de travail depuis 3 ans, a déposé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour une allergie à la poussière de papier ;
- Lors de la visite de reprise, le médecin du travail l’a déclaré inapte avec une contre-indication à l’exposition régulière aux poussières de papier ;
- La CPAM a pris en charge la pathologie déclarée par le salarié ;
- L’employeur a contesté cette décision, la CPAM a fait droit à sa demande et a déclaré la maladie inopposable à l’employeur ;
- Le salarié a été licencié et a saisi la juridiction prud’homale considérant que son inaptitude était professionnelle.
La Cour d’appel l’a débouté de ses demandes dès lors qu’il ne rapportait pas la preuve de l’origine professionnelle de cette inaptitude.
Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt d’appel.
La Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel. Au regard des faits, la maladie ne semble pas directement causée par le travail habituel du salarié, et la reconnaissance par la CPAM ne suffit pas à prouver le caractère professionnel de l’inaptitude.
Est-ce que la Cour de cassation aurait jugé dans le même sens si le salarié avait formé une demande au titre d’un burn-out, ou si le salarié avait déclaré un accident du travail (choc psychologique) le lendemain d’un entretien annuel ou d’un entretien préalable ?
En tout état de cause, la Cour de cassation vient de confirmer sa position dans un arrêt du 24 septembre 2025 (n°22-20155), s’agissant cette fois-ci de la connaissance par l’employeur d’une demande de reconnaissance d’une pathologie au titre des risques professionnels
Dans cette affaire, un salarié avait été licencié pour désorganisation de l’entreprise.
La Cour d’appel avait jugé le licenciement nul en considérant que l’employeur, lors de la mise en œuvre de la procédure de licenciement, était informé d’une demande de reconnaissance d’une maladie au titre de la législation sur les risques professionnels et de ce fait l’origine professionnelle de l’inaptitude était alors connue.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, aux motifs que cette dernière n’avait pas recherché si l’arrêt de travail avait pour origine, au moins partiellement, un accident du travail ou une maladie professionnelle et alors même que l’origine professionnelle de la maladie était contestée.
Ainsi, la seule connaissance d’une demande de reconnaissance d’une pathologie formée par le salarié auprès de la CPAM ne suffit plus à rapporter la preuve du caractère professionnel de l’inaptitude.
Ces décisions sont salutaires car elles vont permettre un vrai débat équitable entre les parties.
[1] Si elle est plus favorable que l’indemnité conventionnelle ce qui est très souvent le cas.
Anne Pineau
Avocat
anne.pineau@oratio-avocats.com