Françoise LE VEZIEL
Associé
Françoise LE VEZIEL : La clause de non-concurrence est celle qui, activée à l’expiration du contrat de travail, empêche le salarié d’exercer une activité concurrentielle à celle de son ex-employeur. Elle répond à de strictes conditions de validité et n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, est limitée temporellement et géographiquement, tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte une contrepartie financière à la charge de l’employeur. Ces conditions cumulatives sont appréciées strictement par le juge en cas de litige, sa rédaction s’avère donc particulièrement délicate !
Bien qu’elle ne soit activée qu’au moment de la rupture du contrat dans lequel elle est insérée, la clause de non-concurrence doit faire l’objet d’une attention toute particulière au moment où elle est conclue (que ce soit à la formation du contrat de travail ou en cours de relation). La clause ne doit notamment pas avoir pour objet de priver le salarié de la possibilité d’exercer son activité professionnelle ad vitam aeternam et dans un champ géographique non concerné par la concurrence potentielle à l’entreprise.
Françoise LE VEZIEL : Non, effectivement, cela n’est pas possible. Il s’agirait d’une clause dite « potestative » prohibée, dès lors que cela permettrait à l’employeur de pouvoir, seul, décider d’activer – ou non – une obligation de non-concurrence lors de la rupture du contrat. Cela est contraire à la philosophie même de cette stipulation contractuelle.
Elle peut en revanche être prévue dès la conclusion du contrat de travail ou ajoutée pendant la relation de travail par voie d’avenant, en cas de changement de fonctions, par exemple.
Françoise LE VEZIEL : Oui, sous certaines réserves cependant. La jurisprudence admet, en effet, les clauses de non-concurrence renouvelables. Elle rappelle toutefois que ce renouvellement ne peut être ni automatique, ni tacite. En d’autres termes, si la clause de non-concurrence, dans sa rédaction, prévoit un renouvellement, celui-ci ne pourra s’opérer qu’à raison d’une action positive de l’employeur qui doit manifester sa volonté de manière expresse. À titre d’exemple, face à une clause de non-concurrence d’un an, renouvelable une fois à son terme, seule une manifestation de la volonté de l’employeur, portée à la connaissance du salarié, pourra conduire à ce renouvellement effectif. En l’absence d’une telle opération, on considère que le renouvellement n’a pas eu lieu et que les 2 parties sont donc libérées de leurs obligations réciproques à l’issue de la 1ère année.
Françoise LE VEZIEL : La clause de non-concurrence n’est licite que lorsque l’interdiction qu’elle entraîne est absolument nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise. En pratique, c’est le juge qui contrôle le respect de cette condition. Pour ce faire, il vérifie que l’activité professionnelle prohibée est bien concurrente à l’activité réelle de l’ancienne entreprise du salarié ! La clause de non-concurrence ne peut donc pas porter sur une activité qui n’existerait pas dans l’entreprise d’origine de l’ex-salarié.
Pour faire le lien avec une autre condition mentionnée au préalable, il en va de même en ce qui concerne la prise en compte des spécificités de l’emploi du salarié : une clause de non-concurrence ne peut être prévue que lorsqu’il existe un risque réel de concurrence pour l’employeur eu égard aux fonctions occupées.
En fait, il faut que l’activité professionnelle concernée soit de nature à permettre aux salariés d’accéder à des informations stratégiques, à la clientèle, à un savoir ou un savoir-faire précieux dans le cadre d’une activité concurrentielle. Il n’est pas question de restreindre la liberté de travail des salariés qui n’ont pas accès à des données sensibles et stratégiques du fait de leurs fonctions professionnelles.
Françoise LE VEZIEL : La clause de non-concurrence doit obligatoirement prévoir une contrepartie financière, à peine de nullité. Le paiement de cette contrepartie n’intervient pas avant la rupture du contrat, mais au moment de sa mise en œuvre, c’est-à-dire à l’issue du contrat. Cette contrepartie est alors conçue comme une indemnité compensant l’engagement du salarié à ne pas faire concurrence à son ancien employeur. Par suite, dans le cas où le salarié ne respecterait pas les termes de la clause, l’employeur, qui en rapporterait la preuve, pourrait interrompre le versement de la contrepartie financière.
Le montant de cette indemnité de non-concurrence doit être proportionné à la durée et à la restriction portée à la liberté professionnelle du salarié. Il ne doit donc pas être dérisoire sous peine d’encourir la nullité de la clause en cas d’action du salarié. Seul le juge peut apprécier le caractère dérisoire ou non de la contrepartie financière. Dans certains cas, le montant (et plus rarement le mode de calcul) de la contrepartie financière est fixé par la convention collective : dans ce cas, l’employeur devra en tenir compte et l’indemnité devra être au moins équivalente au montant ainsi prévu, même si le contrat ne le stipule pas expressément.
Françoise LE VEZIEL : En pratique, les clauses de non-concurrence prévoient souvent cette faculté de renonciation. La jurisprudence impose du reste que cette faculté soit inscrite dans le contrat ou dans la convention collective. La stipulation introduisant cette faculté de renonciation doit toutefois fixer le délai dans lequel la renonciation peut intervenir. L’objectif poursuivi est compréhensible : le salarié ne peut pas être laissé dans l’incertitude quant à l’étendue de sa liberté de retravailler. Dans le même esprit, la jurisprudence impose que le salarié soit informé sans délai au moment de son départ effectif en cas de dispense d’activité à l’initiative de l’employeur.
Sur le plan formel, cette renonciation doit être expresse, claire et sans équivoque. Elle ne peut pas être implicite ou se déduire du seul comportement de l’employeur ou du salarié. Il est donc conseillé de recourir a minima à une lettre recommandée avec accusé réception permettant de conférer date certaine à cette renonciation. Il est même recommandé pour l’employeur de renoncer à la clause de non-concurrence dès la lettre de licenciement.
Françoise LE VEZIEL : Sans surprise, la renonciation à la clause hors du délai stipulé ou après que le salarié a été dispensé d’activité entraîne l’obligation pour l’employeur de verser la totalité de la contrepartie financière. Mais la jurisprudence a eu l’occasion de nuancer cette sanction : le versement de cette contrepartie cesse lorsque le salarié ne respecte plus son obligation de non-concurrence. En d’autres termes, l’employeur reste tenu du paiement de cette indemnité compensatrice tant que le salarié respecte effectivement la clause de non-concurrence.
Françoise LE VEZIEL : Dans le cas où le salarié viole son obligation de non-concurrence induite par cette clause, 2 cas de figure doivent être distingués.
Le 1er cas de figure est celui du salarié qui n’a jamais respecté la clause de non-concurrence : dans ce cas, l’ex-employeur peut interrompre le versement de la contrepartie financière de façon définitive. Cette interruption est définitive, et ce, même si le salarié respecte à nouveau la clause de non-concurrence par la suite.
Le 2nd cas de figure est celui où le salarié a commencé à respecter la clause de non-concurrence, puis a cessé de la respecter. Dans cette hypothèse, l’employeur peut interrompre le versement de la contrepartie financière. En revanche, et comme je l’évoquais précédemment, il devra nécessairement verser au salarié la fraction de l’indemnité compensatrice correspondant à la période durant laquelle le salarié a effectivement respecté son obligation de non-concurrence, c’est-à-dire entre la date de rupture du contrat et la date d’embauche du salarié dans une autre entreprise exerçant une activité concurrentielle.
Le salarié qui a violé cette obligation de non-concurrence pourra aussi, le cas échéant, être condamné par le juge au paiement de dommages-intérêts correspondant au préjudice subi par son employeur compte tenu de la violation de cette obligation de non-concurrence. Le montant de ces dommages-intérêts, s’il n’est pas prévu par une clause pénale, pourra être fixé par le juge. Attention néanmoins : même en présence d’une clause pénale, le juge peut souverainement réviser ce montant en cas de clause manifestement excessive ou dérisoire. Ici encore, la prudence est donc de mise…
Françoise LE VEZIEL : J’ajouterai simplement un point de vigilance par rapport à une pratique. Il arrive que des contrats comportent des clauses dites de « non-démarchage » ou encore de « loyauté » qui interdisent au salarié, après la rupture de son contrat, de travailler avec les clients de l’ex-employeur.
Ces clauses sont assez risquées, notamment lorsqu’elles ne comportent aucune contrepartie financière. Car, en cas de litige, elles risquent d’être requalifiées en clause de non-concurrence. En conséquence, dans le cas où elles ne prévoient aucune contrepartie financière, elles sont en fait annulées et n’emportent donc pas l’effet escompté. Elles peuvent même conduire l’employeur à devoir verser au salarié des dommages-intérêts en raison du préjudice subi du fait de l’absence de contrepartie financière à cette obligation de non-concurrence qui ne dit pas son nom.
En substance, toutes les clauses qui interdisent au salarié, en cas de rupture du contrat de travail, de traiter avec des clients de l’ex-employeur exposent l’employeur à un risque de requalification. Ainsi, il est conseillé de respecter le formalisme et l’ensemble des conditions de validité que nous évoquions ensemble au cours de cet entretien pour en assurer l’efficacité, conformément au souhait de l’employeur.
Sources :
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