Ludovic TORNIER
Associé - Responsable du bureau de Saumur
Ludovic Tornier : La convention de croupier désigne le contrat dans lequel un associé, appelé le cavalier, convient avec un tiers, le croupier, de partager en tout ou partie les bénéfices et les pertes résultant de sa participation dans la société, sans pour autant céder ses parts et donc, sans avoir, au préalable, à recueillir l’agrément des autres associés.
Concrètement, le cavalier conserve la propriété des parts sociales ainsi que toutes les prérogatives attachées à son statut d’associé. Par conséquent, il continue à être convoqué aux assemblées, il conserve son droit de vote, son droit à l’information etc.
Cette convention était autrefois définie directement dans le Code civil, à l’article 1861. Ce texte est aujourd’hui abrogé depuis la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978, mais il n’en demeure pas moins que cette convention est toujours licite et valable.
Ludovic Tornier: Le législateur a fait le choix de retirer la convention de croupier du Code civil parce qu’elle est tombée en désuétude. Elle a perdu de son intérêt dans la mesure où ont été créés des mécanismes de sortie pour éviter à un associé de rester coincé dans une société dont il veut se défaire.
Ludovic Tornier: Le principal avantage est son caractère secret. Les autres associés n’ont pas vocation à être informés de son existence. Ce qui est utile dans l’hypothèse des sociétés de personnes dans lesquelles un agrément préalable des autres associés peut être imposé par les statuts en cas de cession de parts, ou tout simplement pour respecter le secret des affaires ou encore, et c’est peut-être le plus fréquent, lorsque le croupier ne peut apparaître comme associé aux yeux des tiers.
Ludovic Tornier: La situation la plus fréquente est celle où pour des motifs liés à des engagements contractuels ou à l’environnement commercial, le croupier ne souhaite pas apparaître aux yeux des tiers.
Cette convention peut préparer une transmission de parts de la société tout en préservant l’anonymat du croupier dans le cadre du secret des affaires.
Ludovic Tornier :La convention de croupier ne concerne que l’aspect pécuniaire des parts : l’associé rétrocède au tiers tout ou partie des bénéfices auxquels il a droit et implique, en cas de pertes financières, que le croupier y participe.
Le croupier n’a pas prise sur la vie de la société. La personne morale n’a d’ailleurs aucun lien contractuel avec lui. Son rôle se limite à la participation aux bénéfices ou aux pertes de l’entreprise. Il peut d’ailleurs être maintenu dans l’ignorance quant à la situation de la société, puisqu’il n’a pas de droit à l’information qui lui serait dû par le cavalier.
Bien sûr, cela peut être aménagé. La convention de croupier prend d’ailleurs souvent la forme d’une société en participation occulte, c’est-à-dire une société qui regroupe toutes les conditions pour être valablement formée, mais qui n’est pas immatriculée, donc qui n’a pas de personnalité juridique. Le croupier et le cavalier se font ainsi associés de cette société en participation et chacun bénéficie, dans ce cadre, des droits des associés.
Cela permet ainsi au croupier de se voir délivrer l’information relative à la société dont les parts constituent la croupe. Une concertation préalable avant chaque assemblée générale est même souvent prévue entre le cavalier et le croupier.
Au-delà, il peut même être prévue une convention de vote obligeant le cavalier à se conformer aux instructions du croupier.
Ludovic Tornier : Une nouvelle fois, c’est la liberté contractuelle qui s’applique. La convention pourra être à durée déterminée ou indéterminée, avec toutes les conséquences de droit commun que cela implique. Ainsi, la partie souhaitant mettre fin à une convention de croupier à durée indéterminée devra prendre soin de respecter un délai de préavis raisonnable.
Ludovic Tornier: Le principe est que la convention de croupier n’est pas une cession de droits sociaux. C’est une solution constante. Par conséquent, quelle que soit la manière dont la convention prend fin, le croupier n’a pas vocation à récupérer les parts sociales du cavalier. Jusqu’à récemment, les décisions de justice ne laissaient aucun doute sur cette solution.
Cependant, une jurisprudence récente peut laisser penser que les parties pourraient prévoir une possibilité de cession dans la convention (1).
Dans cette affaire opposant un croupier et un cavalier, le litige concernait initialement le versement de dividendes sur une année. En cours d’instance, le croupier résilie unilatéralement la convention et exige l’attribution de 95 % des parts objet du contrat, quote-part qui correspondait à ses droits financiers dans la croupe.
La cour d’appel refuse d’attribuer la propriété des parts au croupier, mais tient un raisonnement étonnant : si elle rappelle que cette convention ne confère pas au croupier la qualité d’associé, elle procède à une analyse détaillée des clauses en question et aboutit à la conclusion suivante : « aucune disposition de la convention en litige ne suggère qu’un transfert de la propriété des actions puisse avoir lieu du cavalier au croupier, ces cessions ne pouvant d’ailleurs être réalisées que dans le respect des dispositions légales et statutaires. »
Au vu de cette rédaction, la cour d’appel ne semble ici pas exclure la possibilité d’insérer une clause prévoyant la cession de la propriété des titres au profit du croupier.
L’affaire a été portée devant la Cour de cassation qui semble valider le raisonnement de la cour d’appel (2).
Si les juges viennent à accepter la possibilité d’insérer une cession de parts dans la convention de croupier, il conviendra de trouver une articulation entre cette cession et les statuts ou pactes d’associés qui prévoiraient, notamment, une clause d’agrément ou un droit de préemption.
Ludovic Tornier : Pour la question de la fiscalité, deux temps doivent être distingués : celui des droits d’enregistrement à devoir au titre de la convention et celui de l’impôt sur le revenu dont seront redevables les parties.
Concernant les droits d’enregistrement, la convention de croupier s’analyse en une double opération : une cession d’une fraction des droits sociaux appartenant au cavalier (soumise au droit proportionnel d’enregistrement) et un acte de formation de société en participation correspondant à la structure mise en place entre le croupier et le cavalier pour l’opération (soumis au droit spécial de mutation).
Concernant l’impôt sur le revenu, le croupier et le cavalier, associés de la société en participation, sont personnellement soumis à l’impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la structure, dès lors que :
Notons que le gérant, le plus souvent le cavalier, doit fournir au service des impôts, en annexe de sa déclaration annuelle de revenus, la liste des associés de la société en participation avec la quote-part de produits ou pertes leur étant imputées.
Pour terminer ce point fiscal, notez que l’administration considère que la plus-value résultant de la cession d’une quote-part des droits sociaux au croupier ou de l’apport du surplus à la société en participation est susceptible d’entrer dans le champ d’application :
Ludovic Tornier : Le principe de la liberté contractuelle s’applique ici. Mais, par son caractère secret, la convention de croupier peut basculer dans l’illicéité en permettant, par exemple, la dissimulation de certaines activités.
De même, la rédaction de la convention devra être soignée pour l’articuler correctement avec les dispositions des statuts de la société dont les titres font l’objet du contrat ou des pactes d’actionnaires et associés qui sont, eux-aussi, secret.
L’intervention d’un professionnel permettra donc de s’assurer de la licéité de la convention et de sa bonne utilisation. De même, il permettra d’éclairer les parties sur les questions d’ordre fiscal.
Arrêt de la cour d’appel de Paris, du 28 janvier 2021, no 20/01252
Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 30 novembre 2022, no 21-15182
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