La levée de boucliers des géants du divertissement contre l’irrésistible ascension de l’IA générative est désormais bien engagée. Après les actions retentissantes intentées par les syndicats d’éditeurs contre Meta[1], ou par Getty Images contre Stability AI au Royaume-Uni[2], un nouveau front judiciaire s’ouvre. Cette fois, c’est à Hollywood que les studios passent à l’offensive.
Blockbusters sous tension
Déposée en juin 2025 devant la U.S. District Court for the Central District of California, la plainte conjointe de Disney et Universal contre Midjourney, Inc. cristallise les tensions croissantes entre les détenteurs de droits et les développeurs de modèles génératifs d’images. Accusée d’avoir entraîné son système sur des œuvres visuelles emblématiques sans autorisation, la plateforme Midjourney se retrouve au cœur d’un litige emblématique. Au-delà des enjeux financiers, c’est l’équilibre même entre création humaine, exploitation technologique et propriété intellectuelle qui se joue dans ce face-à-face à plusieurs milliards de dollars.
Dans leur plainte de 109 pages, les studios hollywoodiens dénoncent une exploitation « systématique, massive et délibérée » de leurs œuvres. Des dizaines de personnages iconiques — de Spiderman à Iron Man, de R2D2 aux Simpsons — auraient été utilisés comme matière première pour entraîner le Image Service de Midjourney.
Cette attaque prend d’autant plus de poids que Disney détient aujourd’hui un portefeuille colossal de droits de propriété intellectuelle, consolidé par une série d’acquisitions emblématiques :
- Pixar (intégré en 2006 pour 7,4 milliards de dollars, à l’origine de Toy Story, Cars ou Inside Out (Vice Versa en français)) ;
- Marvel Entertainment (racheté en 2009 pour 4 milliards, avec des licences comme Iron Man, Captain America, Avengers) ;
- Lucasfilm (racheté en 2012 pour 4,05 milliards, détenteur de Star Wars et Indiana Jones) ;
- La 21st Century Fox (acquis en 2019 pour 71,3 milliards, incluant Avatar, Les Simpsons, Alien ou X-Men).
Une concentration sans précédent d’univers audiovisuels cultes, aujourd’hui mobilisés pour s’opposer à l’utilisation non autorisée de leurs références visuelles par l’intelligence artificielle générative.
Midjourney, qui revendique plus de 21 millions d’utilisateurs et 300 millions de dollars de revenus annuels, est accusée de violer les droits exclusifs de reproduction, de distribution et de communication au public de ces créations.
À l’appui, des dizaines d’exemples de prompts et d’images générées figurent dans l’Exhibit A de la plainte, qui recense plus de 200 lignes de références d’œuvres protégées (dont 47 consacrées uniquement aux Simpsons) appartenant à Universal et Disney. L’effet est saisissant : chaque image produite semble directement calquée sur les personnages visuels les plus connus de l’univers Disney et Universal, allant jusqu’à être utilisées dans des supports promotionnels pour Midjourney, sans la moindre licence.
Fair use ou abus d’usage ? La ligne rouge de l’IA générative
Dans cette affaire, qui n’est pas sans rappeler celle récente du Ghibli Effect[3], Midjourney se défend en invoquant le principe du fair use, prévu par le Copyright Act américain, en affirmant que ses images seraient produites librement par les utilisateurs à partir de simples prompts textuels. Mais face à la fidélité frappante des visuels générés et à leur volumétrie massive, l’argument semble fragile. Cette défense rappelle le litige encore en cours opposant Getty Images à Stability AI[4], où la reproduction d’images protégées à des fins d’entraînement algorithmique cristallise les tensions. Dans les deux cas, les majors de la création dénoncent une forme de contrefaçon, où l’innovation s’appuie sur des contenus tiers sans autorisation ni rémunération. L’affaire Disney & Universal contre Midjourney pourrait ainsi marquer un tournant jurisprudentiel dans la régulation des IA génératives visuelles.
Toutefois, la jurisprudence américaine récente n’est pas en faveur de Midjourney. En effet, le cas Thomson Reuters c. Ross Intelligence[5], jugé en février 2025 par un tribunal fédéral du Delaware, illustre une posture stricte contre le fair use appliqué à la formation d’IA. Le juge a estimé que l’usage par Ross Intelligence des headnotes de Westlaw pour entraîner sa base IA concurrente n’était pas un usage équitable, aboutissant à un rejet de défense du fair use.
Des studios hollywoodiens aux juges européens
Si l’affaire se déroule aux États-Unis, elle soulève des enjeux transatlantiques majeurs. En Europe, l’Union européenne a instauré en 2019 la Directive 2019/790 relative au droit d’auteur sur le marché unique numérique, introduisant deux exceptions pour la fouille de textes et de données (TDM).
- L’article 3 permet aux institutions de recherche et aux organismes de patrimoine culturel de recourir au TDM dès lors qu’ils ont un accès licite aux œuvres, et d’en conserver les reproductions pour valider leurs résultats ;
- L’article 4, étendu à toute finalité (y compris commerciale), inclut la même possibilité, mais les ayants droit peuvent s’opposer via un mécanisme d’opt‑out – notamment par des métadonnées ou des mentions techniques.
Les acteurs de l’IA brandissent cette dernière exception commerciale en Europe comme un argument juridique majeur pour justifier l’usage de corpus protégés à des fins d’entraînement d’IA, malgré l’absence d’un système d’opt‑out uniforme et lisible par machine (robots.txt, métadonnées ou balises techniques), ce qui crée une zone grise juridique sur la légalité de ces usages, bien que de nombreux organismes de gestion collective (SACEM, SGDL…) ont publiquement fait part de l’utilisation de leur droit d’opt out.
Également, l’Union européenne, via le Règlement sur l’Intelligence Artificielle (RIA), a imposé une obligation de transparence et de présentation d’un résumé suffisamment détaillé sur les données d’entraînement utilisées par les IA génératives, notamment pour prévenir l’usage illicite d’œuvres protégées et faciliter l’exercice de l’opt out par les ayants droits. Ces exigences s’inspirent des réflexions menées en France par le CSPLA, notamment dans le cadre de la mission Bensamoun[6].
En somme, l’affaire Disney & Universal c. Midjourney dépasse le simple contentieux entre un studio et un acteur technologique : elle cristallise une bataille de modèles juridiques, opposant l’approche permissive du fair use américain à la vision européenne fondée sur la régulation et la protection rigoureuse de la création.
Altij & Oratio Avocats, votre défense en première diffusion
À l’heure où l’IA générative redéfinit les frontières de la création artistique, la défense des droits des créateurs, ayants droit et acteurs culturels devient plus que jamais stratégique.
Altij & Oratio Avocats intervient aux côtés des studios, agences, développeurs et titulaires de droits pour sécuriser l’exploitation de leurs œuvres, prévenir les risques de contrefaçon visuelle et engager, le cas échéant, les actions appropriées.
Notre accompagnement couvre l’ensemble de la chaîne de valeur : audit des bases d’entraînement, rédaction de clauses contractuelles adaptées aux usages d’IA, analyse du risque juridique, mais aussi gestion des contentieux face aux grandes plateformes numériques.
Pour anticiper les dérives de l’IA générative et protéger vos univers créatifs, contactez Altij & Oratio Avocats.
De plus, dans le cadre de notre programme Trust by Design[7], nous recommandons particulièrement la formation “Conformité IA générative : les bases pour directions juridiques”. Cette session de 7 h combine aspects techniques et juridiques : analyse d’impact, documentation réglementaire, obligations des déployeurs et bonnes pratiques contractuelles, idéal pour anticiper les enjeux soulevés par l’affaire Disney & Universal vs Midjourney.
Le lien vers la formation : https://www.trustbydesign.fr/home-topic-list/ia-ria-ai-act-les-bases-de-la-conformite-analyse-dimpact-documentation-etc
[1] https://www.altij.fr/detail-actualites/detail-actualites-propriete-intellectuelle/lia-face-aux-droits-dauteur-meta-attaque-par-les-syndicats-francais-de-ledition
[2] https://www.altij.fr/detail-actualites/getty-images-contre-stability-ai-le-copyright-contre-attaque-face-aux-ia-generatives
[3] https://www.altij.fr/detail-actualites/le-ghibli-effect-quand-lintelligence-artificielle-imite-lart-entre-creativite-et-controverse-juridique
[4] https://www.altij.fr/detail-actualites/getty-images-contre-stability-ai-le-copyright-contre-attaque-face-aux-ia-generatives
[5] https://www.altij.fr/detail-actualites/detail-actualites-public/lia-peut-elle-justifier-la-violation-des-droits-dauteur-au-nom-de-linnovation-reuters-v-ross-intelligence
[6] https://www.altij.fr/detail-actualites/lia-peut-elle-justifier-la-violation-des-droits-dauteur-au-nom-de-linnovation-reuters-v-ross-intelligence
[7] https://www.trustbydesign.fr/