Corinne LECOCQ
Associé - Tax leader international
Pour échapper à une politique fiscale confiscatoire, l’appel de l’expatriation se fait pressant. Cette option est de plus en plus évoquée par des clients, majoritairement issus des catégories socioprofessionnelles favorisées et entrepreneurs, de conseillers en gestion de patrimoine et autres professionnels du droit, de la fiscalité ou du notariat.
Inquiets face à l’instabilité politique et à un alourdissement de leurs impôts, et alors que la pression fiscale française est déjà la plus forte de l’OCDE, certains ménages étudient la possibilité de partir vivre en dehors de l’Hexagone. Le choix, radical, de l’exil prend de l’ampleur tandis que le nouveau gouvernement Barnier défend une « contribution exceptionnelle » pour des Français les plus fortunés et réaffirme vouloir « éviter une stratégie de défiscalisation des plus gros contribuables ».
S’expatrier pour éviter un niveau d’imposition excessif peut alors être une tentation forte. Parmi les destinations européennes favorites, comme le Portugal, l’Espagne, la Grèce, le Luxembourg, la Belgique ou la Suisse, l’Italie suscite un intérêt croissant. Elle supplante le Royaume-Uni, destination moins favorable depuis l’annonce de l’abolition, à partir du
6 avril 2025, de son régime fiscal de « non-dom résident » (résident non domicilié), jusque-là particulièrement attractif. En dehors de ses qualités intrinsèques et de logements, en moyenne moins onéreux que dans l’Hexagone, l’Italie présente pour point fort une fiscalité attrayante pour les Français qui décident d’y vivre.
Ce pays a mis en place depuis 2017 deux régimes fiscaux favorables pour les expatriés et les nouveaux résidents. Sous conditions, ils visent à attirer les personnes à hauts revenus dans la péninsule pour en faire bénéficier l’économie locale.
Le premier dispositif, surnommé la « flat tax des Picsou », consiste en un impôt forfaitaire annuel destiné aux millionnaires ou milliardaires, à l’origine des stars du football ou de la finance, qu’il s’agisse de riches étrangers pour les inciter à s’installer dans le pays, ou d’Italiens expatriés, pour les encourager à revenir. C’est aussi une réponse des autorités italiennes à la concurrence de pays fiscalement avantageux comme le Portugal.
Le règlement de la flax tax permet de ne plus payer d’impôt au fisc italien sur les revenus de source étrangère. Depuis 2017 et jusqu’à tout récemment, la taxation forfaitaire était de 100.000 euros par an, auxquels s’ajoutent 25.000 euros pour chaque membre supplémentaire de la famille, y compris pour le conjoint. Mais, cet été, le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni a durci le ton vis-à-vis des super-riches en doublant cet impôt.
Tout comme la France, l’Italie, qui est mise à l’index par l’Union européenne pour déficit excessif, est en quête d’argent frais. Désormais, l’impôt forfaitaire pour les nouveaux résidents atteint 200.000 euros par an. Ce qui en limite l’intérêt à une certaine catégorie de contribuables très fortunés. « A 100.000 euros, le forfait visait les 250.000 euros de revenus par personne. C’est désormais 500.000 euros. », précise Corinne Lecocq, avocat fiscaliste, associée chez Oratio. Cette hausse s’applique aux transferts de résidence réalisés après le 10 août 2024.
Valable pendant quinze ans, ce régime fiscal s’applique à tous les revenus de source étrangère. La seule exception (clause anti-abus) est la vente de participations qualifiées (dépassant un certain seuil) d’une société étrangère au cours des cinq années suivant l’expatriation. Dans ce cas, la plus-value pourrait être imposée par le fisc italien.
Il est à noter, précise Croce & Associés dans une publication consacrée « au transfert de la résidence fiscale en Italie », qu’en parallèle du forfait fiscal l’Italie a adopté depuis 2019 un régime favorable pour les retraités étrangers, avec pour objectif de repeupler les petites villes délaissées. Ils peuvent ainsi bénéficier d’une imposition fixe à hauteur de 7 % sur l’ensemble des revenus étrangers.
Qualifications élevées
Le second dispositif se rapporte au régime des impatriés en Italie, dit des « impatriati » ou « rientro dei cervelli », littéralement « retour des cerveaux ». Il permet aux travailleurs étrangers (spécialement les chercheurs et les professionnels hautement qualifiés) transférant leur résidence fiscale en Italie de profiter d’une réduction significative de l’impôt sur le revenu. Ce régime s’adresse aux ressortissants italiens comme aux étrangers.
Mais, à l’instar du forfait italien, ses avantages ont été rabotés, et ce, depuis le 1er janvier 2024. Pour y être éligibles, les candidats ne doivent pas avoir été résidents fiscaux en Italie au cours des trois années d’imposition précédant le transfert (au lieu de deux ans précédemment).
Autre avantage notable de ce régime : un abattement, pendant cinq ans, de 50 % du revenu imposable, porté à 60 % pour les actifs ayant des enfants mineurs. Il a toutefois aussi été revu à la baisse puisque, avant 2024, cette réduction pouvait atteindre 90 % pour les transferts dans les régions du sud de l’Italie et était consentie pour six ans.
De plus, sans plafond en 2023, la carotte fiscale est dorénavant conditionnée à une limite annuelle de 600.000 euros de revenus. Enfin, il faut respecter un niveau élevé de qualifications ou de spécialisations, ce qui n’était pas exigé auparavant.
L’intérêt de l’exil en Italie est renforcé par une fiscalité particulièrement attrayante en matière de donation et de succession. D’abord, la taxation y est beaucoup moins forte qu’en France. Pour sa progéniture, le taux qui s’applique est de 4 % au-delà d’un abattement de 1 million d’euros, versus 100.000 euros en France et l’application d’un barème progressif beaucoup plus coûteux (jusqu’à 45 %). En outre, en Italie, ces mêmes conditions s’appliquent en cas de donations en faveur du conjoint. En France, l’abattement entre conjoints mariés ou pacsés tombe à 80.724 euros.
Ensuite, grâce à une convention fiscale signée en 1990, des parents français, résidents italiens, peuvent donner des biens (actifs immobiliers, parts d’entreprise…) situés en Italie ou dans un autre pays à leurs enfants en bénéficiant de la fiscalité italienne. Il n’est pas nécessaire que ces derniers résident dans la péninsule. Si les biens donnés sont situés en France, c’est naturellement la fiscalité française qui s’applique.
Très encadré, l’exil fiscal en Italie nécessite un accompagnement pas à pas par des experts. Au cœur des conditions pour pouvoir en profiter figure la notion de résident fiscal italien. Un Français est considéré comme tel si sa résidence principale et le centre de ses intérêts vitaux, personnels et économiques, sont en Italie.
« Attention aux installations ‘Canada Dry’ ! avertit Vital Saint-Marc, associé chez RSM, spécialiste en fiscalité des groupes et TVA. Il ne faudra pas franchir trop souvent la frontière, car l’administration fiscale dispose de puissants moyens pour contrôler notamment le lieu de résidence. » En d’autres termes, quand on part, il faut vraiment jouer le jeu et couper le plus possible de ponts. « Pendant au moins trois ou quatre ans, appuie Jérôme Barré, avocat expert en fiscalité patrimoniale et internationale au cabinet Yards, l’expatrié français en Italie devra le moins possible retourner en France et y conserver le minimum d’actifs. »
Echapper à l’impôt en optant pour un « paradis » fiscal ne doit pas être la seule motivation pour quitter son pays. Il faut comprendre tous les enjeux de ce type de choix, notamment l’aspect psychologique d’une expatriation. « Avant d’être fiscal, un transfert à l’étranger c’est avant tout un transfert de vie », résume Corinne Lecocq. Ce que l’on va perdre sur le plan des relations sociales et humaines, le retrouvera-t-on ? Gare aux mirages de la dolce Vita !
Par Anne-Sophie Vion
Pour consulter l’ensemble de cet article paru le 13 octobre 2024 sur le site www.lesechos.fr, cliquez-ici.
Les informations indiquées dans cet article sont valables à la date de diffusion de celui-ci.