La réforme e-invoicing / e-reporting est la poursuite de l’initiative européenne portée par la Commission européenne qui indique « la nécessité de développer davantage la facturation électronique »[1].
La réforme sera mise en place progressivement à compter de juillet 2024 mais il est essentiel de vous y préparer dès aujourd’hui.
L’e-invoicing et ses impacts
La réforme liée à l’e-invoicing est mise en avant auprès des entreprises pour les économies à réaliser tant en termes de coût financier que de temps et pour la modernisation de la chaîne de facturation en simplifiant sa gestion et son suivi et en favorisant la réduction des délais de paiement.
Bien entendu, sa mise en place au sein de votre entreprise demandera certainement une adaptation des process internes. C’est pourquoi il est important de l’anticiper.
Dans cette première partie, nous rappellerons les modalités de l’e-invoicing pour ensuite exposer les impacts, notamment en matière de documentation de piste d’audit fiable.
1. Modalités d’application du e-invoicing
Définition de la facture électronique
Une « facture électronique » est une facture émise, transmise, reçue et archivée sous une forme dématérialisée/électronique, quelle qu’elle soit (article 289 VI du CGI en vigueur aujourd’hui).
Ainsi une facture émise sous format papier et numérisée pour être transformée en « PDF » ne sera pas considérée comme « électronique ».
Par la Loi de Finances pour 2023, la liste complète des dispositifs admis par l’administration fiscale en tant que facturation électronique a été mise à jour :
- La procédure de signature électronique qualifiée (RGS de niveau 2 ou 3 étoiles) ;
- Le système d'échange de données structuré (EDI fiscal) ;
- Le cachet électronique qualifié (nouveauté 2023) ;
- Tout autre dispositif technique.
Pour sa transmission, la facture électronique sera adressée au client par l’intermédiaire d’une plateforme de dématérialisation, qu’il s’agisse du portail public de facturation (CHORUS PRO) ou d’une autre plateforme de dématérialisation partenaire de l’administration fiscale.
Enfin, le format de la facture électronique a été précisé et trois formats ont été retenus :
- le format Cross Industry Invoice (CII) ;
- le format Universal Business Language (UBL) ;
- le format mixte composé d’un fichier de données structuré au format XML et d’un fichier PDF.
Transactions concernées par la réforme
La facturation électronique va concerner l’ensemble des opérations d’achats et de ventes de biens et/ou de prestations de services réalisées entre des entreprises établies en France qui sont assujetties à la TVA dès lors qu’il s’agit d’opérations dites domestiques, c’est-à-dire les opérations réalisées en France en BtoB.
Ainsi sont exclus les opérations de commerce international (livraison intracommunautaire, exportation) et les opérations avec les non-assujettis.
Calendrier de la réforme
Le calendrier a été fixé par décret et les modalités d'application du dispositif se feront en fonction, notamment, de la taille des entreprises concernées.
Calendrier d’application pour l’émission des factures électroniques |
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1er juillet 2024 |
Pour les grandes entreprises : entreprise dont l’effectif est au moins égal à 5 000 personnes et/ou dont le chiffre d’affaires annuel est au moins égal à 1 500 000 d’€ ou dont le total de bilan est au moins égal à 2 000 000 d’€. |
1er janvier 2025 |
Pour les ETI : entreprise dont l’effectif est inférieur à 5 000 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel n'excède pas 1 500 000 d’€ ou dont le total de bilan n'excède pas 2 000 000 d’€. |
1er janvier 2026 |
Pour les PME : entreprise dont l’effectif est inférieur à 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n'excède pas 50 000 000 d’€ ou dont le total de bilan n'excède pas 43 000 000 d’€. Ainsi que pour les microentreprises dont l’effectif est inférieur à 10 personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total du bilan annuel n'excède pas 2 000 000 d'€. |
Calendrier d’application pour la réception des factures électroniques |
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1er juillet 2024 |
Tous les assujettis clients des opérateurs concernés devront être capables de réceptionner les factures électroniques d’achat via la plateforme pertinente. |
2. Impact de la réforme en matière de documentation de PAF
Pour rappel et si vous en doutiez encore, la piste d’audit fiable est une obligation fiscale depuis 2013 au service du contrôle interne. En effet, sa rédaction donne lieu à une revue de l’intégralité des process de facturation interne et spécifique à chaque entreprise. Ainsi, au-delà de répondre à l’obligation fiscale aujourd’hui sanctionnée par l’administration fiscale en cas de non-présentation, cette documentation permet de corriger les éventuels manquements.
Or, le recours à la facturation électronique est aujourd’hui préconisé par l’administration fiscale, sous l’influence européenne. Une de vos interrogations portera nécessairement sur les conséquences au regard de la documentation de piste d’audit fiable (rédigée ou non).
A ce titre, le texte de loi et la doctrine administrative ont précisé que « Seuls les assujettis ayant recours à la signature électronique (ou cachet serveur) "qualifiée" ou admise par l'administration comme équivalente à une signature "qualifiée" ou à l'EDI respectant toutes les spécifications propres à ce système prévues au code général des impôts, tels qu'ils sont définis aux BOI-TVA-DECLA-30-20-30-30 et BOI-TVA-DECLA-30-20-30-40, ne sont pas tenus de mettre en place des contrôles établissant une piste d'audit fiable entre les factures émises et reçues et la livraison de biens ou la prestation de services qui en est le fondement. ».
En d’autres termes, seuls les dispositifs suivants permettent de garantir l'authenticité de l'origine, l'intégrité du contenu et la lisibilité de la facture[2] et donc d’éviter la rédaction d’une documentation de piste d’audit fiable :
- La procédure de signature électronique qualifiée (RGS de niveau 2 ou 3 étoiles) ;
- Le système d'échange de données structuré (EDI fiscal).
Pour précision, le cachet électronique qualifié n’est pas visé comme dispositif permettant de garantir l'authenticité de l'origine, l'intégrité du contenu et la lisibilité de la facture en application des textes en vigueur. Cependant nous pouvons valablement supposer qu’une mise à jour sera prévue pour l’intégrer.
Il s’avère compte tenu de ces précisions que vous pourrez choisir le recours à un autre dispositif de facturation électronique que ceux listés mais cela ne vous dispensera donc pas de la rédaction d’une documentation de piste d’audit fiable en conformité avec les attentes de l’administration fiscale.
La liste des situations dans lesquelles la rédaction d’une documentation sera toujours requise peut être faite ainsi :
- En cas de recours à un tout autre dispositif technique pour la facturation électronique
- En cas de recours à la signature électronique qualifiée mais RGS 1*
- En cas de recours à l’EDI non fiscal (non conforme aux attentes fiscales)
- En cas de recours au cachet électronique qualifié (sauf mise à jour)
- Lorsque l’opérateur n’a pas recours à l’EDI fiscal ou la signature électronique qualifiée RGS 2/3* pour ses opérations de commerce extérieur
Le champ d’application de l’obligation de rédaction reste donc large et il est nécessaire de vous y conformer si cela n’est toujours pas le cas.
E-reporting et prix de transfert : un duo inattendu
Dans le cadre de cette réforme, l’obligation de facturation électronique s’accompagne d’une nouvelle obligation dite de « e-reporting ».
À compter du 1er juillet 2024, toutes les entreprises non concernées par le e-invoicing auront progressivement l’obligation de transmettre à l’administration fiscale un certain nombre d’informations liées notamment aux transactions avec des non-assujettis ou avec des assujettis établis à l’étranger.
Après avoir rappelé les modalités d’application de cette nouvelle obligation, nous vous démontrerons comment le e-reporting est un enjeu en matière de prix de transfert.
1. Modalités d’application du e-reporting
Le e-reporting désigne la transmission à l’administration fiscale de certaines données relatives à des opérations commerciales qui ne sont pas concernées par la facturation électronique. Il s’agit :
- Soit, des opérations de vente et de prestation de services avec des clients français ou étrangers non assujettis à la TVA (ou transactions BtoC) ;
- Soit, des opérations avec des opérateurs établis à l’étranger (entreprises ou particuliers).
Ne sont toutefois pas concernées par cette obligation, les opérations bénéficiant d’une exonération de TVA en application des articles 261 à 261 E du code général des impôts, dispensées de facturation. Il s’agit en particulier des prestations effectuées dans les secteurs de la santé et de l’enseignement, des opérations bancaires et d’assurance, des opérations immobilières ainsi que celles réalisées par les organismes sans but lucratif.
a) Les entreprises concernées
Toutes les entreprises assujetties à la TVA qui sont établies en France et qui réalisent l’une des deux catégories d’opération susmentionnées seront concernées par l’obligation d’e-reporting des données de transaction.
Par ailleurs, certaines entreprises établies à l’étranger peuvent également être soumises à l’obligation de transmission des données dès lors que l’opération qu’elles réalisent est réputée située en France au regard des règles du CGI et soumise à la TVA.
b) Les données à transmettre
Contenu des données
Les données de transaction à transmettre à l'administration fiscale sont précisées dans une annexe au CGI et dépendent de la catégorie de clients en cause (clients non assujettis ou clients assujettis étrangers).
S’agissant des clients non assujettis, les données sont les suivantes :
- Le numéro d’identification ;
- La période au titre de laquelle la transmission est effectuée ou, pour les opérations donnant lieu à une facture électronique, la date de la facture ;
- La mention « option pour le paiement de la taxe d'après les débits », lorsqu'il y a lieu ;
- La catégorie de transaction (livraisons de biens / prestations de services soumises à la TVA ; livraisons de biens et prestations de services réalisées par des assujettis établis en France et qui ne sont pas situées en France ; opérations donnant lieu à l'application des régimes de la marge prévus aux articles 266, 1-e, 268 et 297 A du CGI) ;
- Par taux d'imposition, le montant total hors taxe et le montant de la taxe correspondante ;
- Le montant total (exprimé en euros pour les transactions en devises étrangères) de la taxe due en France en application des articles 258 à 259 D du CGI ;
- La devise ;
- La date des transactions ;
- Pour les opérations ne donnant pas lieu à une facture électronique, le nombre de transactions quotidiennes ;
- Pour les opérations donnant lieu à une facture électronique, le numéro de facture.
S’agissant des clients assujettis étrangers, les données à transmettre seront identiques à celles du e-invoicing, à l’exclusion du n° SIREN de l’assujetti non établi en France.
Format et fréquence de la transmission
L’ensemble des données e-reporting devra être transmise dans un format particulier autorisé dont les spécifications externes sont publiées par l'administration fiscale.
La transmission se fera sous forme électronique, en recourant soit au portail public de facturation, soit à un autre opérateur de plateforme de dématérialisation, qui les transmettra à ce portail.
Les données ainsi centralisées seront transférées à l'administration fiscale.
La fréquence de transmission et les échéances des transmissions sont les suivantes[3] :
* entreprises qui paient moins de 4000€ de TVA par an
[3] Source : tableau-des-frequences-et-delais-de-transmission-a-transmettre-sous-format-structure---10-10-2022.pdf (impots.gouv.fr)
2. Enjeux du e-reporting en matière de prix de transfert
Pour rappel, les prix de transfert sont les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels ou rend des services à des entreprises associées dont le siège est établi dans une autre juridiction.
En dépit des idées reçues, les prix de transfert sont un enjeu pour toute entreprise, quelle que soit sa taille, dès lors qu’elle se trouve impliquée dans des opérations transfrontalières avec des entités qui lui sont liées. En fixant leurs prix de transfert, les groupes opèrent en effet des choix qui sont susceptibles d’affecter l’assiette fiscale des juridictions concernées par les transactions. Le contrôle des prix de transfert est donc un outil permettant à l’administration fiscale de vérifier la conformité des prix intra-groupes pratiqués au prix de marché (respect du principe dit de « pleine concurrence »).
Compte tenu de la mise en place progressive de la nouvelle réglementation qui encadre l’obligation d’e-reporting, vous devez anticiper cette mise en conformité dès lors que vous opérez à l’international avec des entités du même groupe. Et cela passe nécessairement par un diagnostic préalable de l’ensemble de vos flux internationaux. On vous explique tout…
a) La nécessité d’un diagnostic préalable
Afin de réunir dans les délais l’intégralité des données à transmettre à l’administration fiscale, il est conseillé de dresser sans attendre un inventaire de chaque information attendue pour chacun de vos flux transfrontaliers concernés.
Ce travail de collecte peut s’avérer complexe s’il met en évidence le défaut ou l’insuffisance de certaines informations ou encore l’existence de process ou méthodologies qui présentent inévitablement un risque pour votre entreprise, notamment en matière de prix de transfert.
Par conséquent, la réalisation d’un diagnostic préalable vous permettra non seulement d’identifier vos transactions transfrontalières, qu’elles soient réalisées avec des entreprises tierces ou liées, mais également de procéder à leur revue « critique ». Cet exercice pourra être l’occasion de révéler des zones de risques ou des incohérences qui peuvent être corrigées pour l’avenir. Nous pourrons ainsi être amenés à envisager ensemble des solutions qui vous permettront de gagner en efficacité lors du calcul, du suivi et de la facturation de vos flux intra-groupes.
b) Un nouvel outil à la disposition de l’administration fiscale
La nouvelle obligation d’e-reporting permettra in fine à l’administration fiscale de reconstituer l’activité économique d’ensemble d’une entreprise.
Par le biais de la transmission des données de transaction, l’administration fiscale pourra surtout vérifier leur cohérence avec les informations qui sont déjà mises à sa disposition. On rappellera en effet qu’il existe des obligations documentaire (fichier principal et fichier local) et déclarative (formulaire 2257-SD) spécifiques en matière de prix de transfert pour les entreprises françaises qui satisfont aux seuils de chiffre d’affaires ou actif brut fixés par la réglementation française.
Toutefois, notre expérience en matière de contrôle prix de transfert montre que toute entreprise, quel que soit le montant de son chiffre d’affaires, est tenue de justifier la politique de prix de transfert appliquée et la normalité de la rémunération octroyée. En pratique, à l’ouverture des opérations de contrôle, l’administration fiscale a d’ailleurs tendance a sollicité les mêmes informations que celles exigées pour les entreprises qui répondent aux seuils définis par la réglementation.
Sur ce point, le dernier contrôle fiscal suivi par nos équipes visait à remettre en cause la déductibilité des services type management fees payés par une filiale française à sa mère américaine. Dans ce cas d’espèce, la filiale totalisait un chiffre d’affaires inférieur à 25 millions d’euros.
Les prix de transfert étant un enjeu majeur pour toutes les entreprises, quelles que soient leur taille, il est essentiel d’anticiper les changements attendus par la réforme dès aujourd’hui !
Concrètement, comment cela se passera-t-il ?
La méthodologie préconisée devra être utilisée pour répondre aux nouvelles obligations créées par la réforme. On peut dire qu’il s’agit d’un coup double pour les entreprises puisqu’elles seront prêtes pour les nouvelles obligations en matière de TVA mais aussi en matière de prix de transfert.
Corinne Lecocq
Avocat associé
corinne.lecocq@oratio-avocats.com
Mathilde Julienne
Avocat
mathilde.julienne@oratio-avocats.com
Melinda Sert
Avocat
melinda.sert@oratio-avocats.com
[1] Communication du 15 juillet 2020 « Un plan d’action pour une fiscalité équitable et simplifiée à l’appui de la stratégie de relance »
[2] Article 289 V du CGI
[3] Source : tableau-des-frequences-et-delais-de-transmission-a-transmettre-sous-format-structure---10-10-2022.pdf (impots.gouv.fr)